Place Saint-Bruno, un réaménagement qui ne passe pas

Bilan de la mobilisation et appel à une annulation du projet de réaménagement de la place Saint-Bruno

 

Petit rappel des faits : 260000 euros pour refaire une place… sans ses habitants

Le 1er Octobre 2018, la mairie organise une réunion publique pour présenter un projet de réaménagement de la place fait sans les habitant.e.s. La mairie rencontre une forte opposition pendant cette réunion « sous tension ».
Deux jours plus tard, un collectif se monte « contre le réaménagement de la place » et la contestation s’organise très vite!
Très vite, un blog « Pour des villes vivantes et populaires » est créé et relaye des textes d’analyse sur les objectifs politiques et les manœuvres de la mairie concernant la place Saint-Bruno et son marché.
La semaine suivante, un dépliant d’information « Tout ça pour qui ? De la réglementation du marché au réaménagement de la place Saint-Bruno » informe des intentions de la mairie : transformer le square en esplanade de centre-ville, faite pour la circulation et non pour la vie de quartier : 2000 exemplaires sont déposés dans les commerces et boites aux lettres.
Le samedi 10 novembre dans le square : une journée d’information et d’échanges contre le réaménagement de la place, « Habiter et défendre Saint-Bruno » est organisée avec au programme un temps d’échange le matin aux alentours du marché, une cantine le midi et un temps d’assemblée et de débat l’après-midi. Un affichage massif est fait aux abords de la place pour convier les habitant∙e∙s*. Sur la proposition de quelques participant∙e∙s à cette journée, l’après-­midi se conclura sur la construction de cages de foot dans l’ancienne fontaine, moment de joie partagée avec de nombreux enfants (et leurs parents) présents sur la place à ce moment là.

 

Face à cette contestation très suivie dans le quartier, la mairie recule!
Deux jours avant la journée d’information, un dépliant créé par la mairie – complètement plagié sur celui du collectif d’opposant.e.s distribué quelques jours plus tôt – est distribué devant les écoles et au marché. Il annonce « un projet qui s’améliore grâce à vos propositions » et annule une partie des travaux annoncés un mois plus tôt!
Malgré un discours qui présente la mairie comme étant à l’écoute des habitants, c’est bien la mobilisation qui l’a fait reculer!  La lutte paye!

 

Une rénovation du quartier, mais pour qui ?

Il apparaît de façon évidente qu’en transformant les espaces publics, la mairie ne cherche pas seulement à améliorer la vie des utilisateurs actuels de la place mais à changer les usages et opérer une montée en gamme du quartier afin de l’intégrer peu à peu dans l’hyper-centre. Hyper-centre dont la plupart des habitant.e.s actuels seront exclus. Pour Lucille Lheureux, adjointe aux Espaces Publiques « le quartier jouit d’une image négative », « les passants n’osent pas forcément entrer à l’intérieur ». Mais de qui parle-t-elle ? Des habitant.e.s de Saint-Bruno, ou plutôt de la population des quartiers luxueux alentours rechignant à traverser la place, trop peu aseptisée à son goût?

 

Y a t-il seulement un projet ?

D’un coté la mairie dit vouloir préserver la vie de quartier de Saint-Bruno, espace vivant, populaire et multiculturel unique à Grenoble. De l’autre elle impose un projet urbain qui vise à transformer le square, lieu de socialisation du quartier, en espace de passage. En quelques semaines, face à l’opposition d’habitant.e.s du quartier, la mairie revient sur la principale dimension de son projet : l’ouverture du square par la suppression des barrières et murets à ses deux extrémités. Ce volte-face très rapide révèle l’absence de réflexion sur le sujet de la part de la mairie. Construit sans diagnostic d’usage ni concertation, ce projet était complètement inadapté aux usages faits de la place. La mairie reconnaît son erreur en revenant sur son projet mais annonce tout de même maintenir le reste des aménagements, ceux qui ont été moins contestés, en dépit du bon sens. Nous refusons de venir cautionner un projet mal construit dont l’absence de cohérence a été prouvé en venant réfléchir sur « la taille et la forme du mobilier », comme le propose la mairie. La place Saint-Bruno, cœur de notre quartier, mérite mieux qu’un projet fait à la va-vite sans réflexion de fonds.

 

Nous avons d’autres ambitions pour notre quartier !

Saint-Bruno est un quartier riche de vie et d’échange, apprécié par ses habitant.e.s. Ceux-ci sont prêts à s’impliquer dans la réflexion sur son réaménagement et doivent être associé aux démarches.

Nous demandons à ce que la mairie renonce à son projet de réaménagement en l’état. Son inadaptation aux usages des habitants a été prouvée.
Nous demandons la mise en place d’une réflexion de fond sur l’aménagement de la place, faite avec les commerçants, forains, habitant.e.s et prenant en compte les usages de la place afin de créer ensemble une démarche urbaine améliorant réellement la vie quotidienne.
En attendant, nous demandons un vrai entretien courant de la place : assurer la propreté, boucher les trous dans le bitume, faire en sorte que les toilettes publiques soient utilisables, ect, devrait faire partie des priorités de la mairie.
Enfin, nous demandons à la mairie de nous éclairer sur ses intentions politiques vis à vis du quartier. Celui-ci a-t-il vocation à devenir une prolongation du sinistre quartier d’affaire Europole et du centre-ville marchand ou restera-il un quartier vivant et populaire à part entière ?

 

*ici, habitant∙e∙s désigne le fait de vivre le quartier au sens large, y loger, y passer du temps, en fréquenter les commerces, y travailler…

 

Collectif Saint-Bruno – https://saintbruno.noblogs.org/ – saintbruno@riseup.net

Le PDF du Tract : Tract_Bilan mobilisation

Un article de Place Gre’net sur la journée du 10 novembre

Rénover le square Saint-Bruno ? Un collectif d’habitants s’oppose au projet de la Ville… et à la méthode

Par Florent Mathieu | le 12/11/2018
EN BREF — Des habitants du quartier Saint-Bruno de Grenoble s’opposent au projet, présenté par la Ville, de rénovation de la place et du square du même nom. Le collectif constitué pour l’occasion organisait une journée d’information et d’échange le samedi 10 novembre pour mieux pourfendre un plan adopté, selon lui, sans concertation ni consultations suffisantes. « Sommes-nous de trop dans notre quartier ? » Telle est la question que posent, sous forme de carte postale à adresser à la Ville de Grenoble, des habitants du quartier Saint-Bruno. Estimant que les riverains ont été insuffisamment consultés dans le cadre du projet de rénovation de la place Saint-Bruno, et plus précisément de son square, un collectif y organisait une « journée d’information et d’échange », le samedi 10 novembre.

Les objectifs de cette rénovation, ainsi que le présente une plaquette éditée par la Ville de Grenoble ? Permettre aux personnes à mobilité réduite d’accéder au square, rapprocher les places assises de l’espace de jeu la Dragonne tout en renouvelant les jeux pour les plus petits, installer des jets d’eau au niveau du bassin et, enfin, « améliorer les traversées piétonnes entre le square, le passage du marché, la bibliothèque, le marché et ses commerces ».

La journée d'échange et d'information a attiré les habitants dès le matin du samedi 10 novembre © Florent Mathieu - Place Gre'net

La journée d’échange et d’information a attiré les habitants dès le matin du samedi 10 novembre. © Florent Mathieu – Place Gre’net

Un projet déjà modifié en amont

Le dernier point a d’ores et déjà fait l’objet d’une modification. Alors que le projet initial prévoyait de favoriser le passage des piétons dans le square, les habitants du quartier ont majoritairement fait savoir leur opposition à cette idée. Pas question pour les riverains de voir la place Saint-Bruno devenir aussi passante que la place Victor-Hugo ou le Jardin de Ville, en particulier avec des enfants jouant en nombre autour des espaces ludiques qui leur sont réservés.

« Nous avons des remarques sur le fait que le quartier jouit d’une image négative, que les passants n’osent pas forcément entrer à l’intérieur, et la première esquisse proposait d’ouvrir plus largement le square, explique Lucille Lheureux, adjointe de Grenoble en charge des Espaces publics. [Comme] cette ouverture a généré beaucoup d’inquiétude, nous avons pris l’engagement de retravailler ce sujet ». Fin de la grogne ? Pas vraiment.

La Dragonne du square parée de banderoles pour l'occasion © Florent Mathieu - Place Gre'net

La Dragonne du square parée de banderoles pour l’occasion. © Florent Mathieu – Place Gre’net

« Peut-être que la place pourrait être réaménagée, mais sous d’autres formes », estime Julien, habitant du quartier participant à la journée d’échange. Pour lui, l’objectif de la journée est avant tout de « montrer qu’il est possible de s’exprimer en-dehors des cadres fournis par l’institution », plutôt que d’accepter « un projet ficelé en amont et qui nous est servi comme tel ». Un projet que le jeune homme, au passage, n’hésite pas à qualifier de « médiocre » au regard des sommes engagées, soit près de 300 000 euros.

Une opinion partagée par Jean-Philippe Moutarde, autre habitant de Saint-Bruno. « On sait qu’il y a plein de choses que l’on peut faire simplement, pour beaucoup moins cher », affirme-t-il. À ses yeux, le projet fait preuve d’un manque cruel d’information « intelligente et intelligible » : « Que se passe-t-il sur cette place ? De quoi a-t-on besoin ? Là, on a une solution brute de décoffrage, qui n’est pas déconnante partout mais qui n’est pas intelligente ! », insiste-t-il.

Prochaine réunion le 6 décembre

« Saint-Bruno est le seul quartier où il n’y a pas eu d’intervention sur l’espace public », constate de son côté Lucille Lheureux. Pour quelle raison ? Chaque projet, depuis bientôt cinq ans, rencontre l’hostilité et le blocage d’habitants. « C’est pourquoi on avance, en disant que tous les citoyens ont droit à ce que l’argent public serve à rénover leur cadre de vie, et que l’on ne peut pas bloquer la rénovation des espaces publics au nom de méthodes de concertation qui ne seraient pas assez satisfaisantes ! », assume-t-elle.

Après avoir revu sa copie sur le caractère traversant du square, la municipalité veut à présent ouvrir la discussion sur les places assises : quel type de mobilier et pour quels emplacements. Organisée le 6 décembre, une réunion doit se tenir sur la question, avant une autre étape de travail et de réflexion sur les jeux à disposition des enfants, début 2019. La preuve que la Ville n’exclut pas les habitants de son projet ?

« On invite à venir à la réunion du 6 décembre et on va discuter d’autre chose que de la couleur des bancs ! », prévient par avance Jean-Philippe Moutarde. Quoi qu’il en soit, des affichettes mettent d’ores et déjà en garde l’adjointe aux manettes : « Lucille Lheureux, on ne te laissera pas fusiller le quartier ». Et, si le dialogue n’est pas rompu, plusieurs élus de la Ville sont venus à la rencontre du collectif. L’ambiance semble donc loin d’être au compromis…

Florent Mathieu

Source : article Rénover le square Saint-Bruno ? Un collectif d’habitants s’oppose au projet de la Ville… et à la méthode | Place Gre’net – Place Gre’net

Samedi 10 novembre à 14h, réunion d’informations contre le réaménagement de la place !

La mairie nous annonce mettre le square en chantier à partir de fin décembre. Ce projet de réaménagement, décidé sans aucune concertation des habitant-e-s, menace de mettre à mal les usages actuels de cette place, la vie qui lui est propre.

Un collectif réunissant les habitant-e-s, habitué-e-s et organisations(associations, collectifs, commerçant-e-s …) du quartier se forme pour mener la lutte contre le réaménagement de la place. Une journée d’information est organisée le samedi 10 novembre à partir de 10h sur le square Saint-Bruno.

Rejoignez-nous pour vous informer, échanger sur le projet et penser ensemble des moyens de conserver une place vivante et populaire !

Tout ça pour qui ?

 

Lorsque nous jetons un œil aux rénovations urbaines que nous concocte la mairie sur la place Saint Bruno, on peut se dire que ce n’est pas grand-chose. Dans l’agenda municipal, on pousse d’ailleurs à effectuer les mesures qui fâchent en début de mandat, pour se concentrer ensuite les deux dernières années sur le cadre de vie (parcs, embellissement de la ville, …). Dans le discours, cela se traduit par un vocabulaire positif, consensuel, peu effrayant, mettant l’accent sur des sortes d’évidences partagées. On est au cœur de la méthode douce qui consiste à tendre progressivement à des transformations urbaines lourdes de conséquences, sans se soucier par ailleurs d’en expliciter les tenants et aboutissants. La rénovation urbaine recompose, ordonne, clarifie les espaces et leurs usages, caressant dans le sens du poil commun, dissimulant la finalité d’un quartier populaire réaménagé : déplacements des populations, casse des liens sociaux, négation d’une mémoire, de l’identité d’un lieu, d’un quartier, et des formes de résistance qui s’y créent. On nous parle de voies en impasse, d’importance de l’espace destiné aux parkings, de regroupements de jeunes aux pratiques délinquantes, ou encore d’esthétique ; dans un langage architectural, un diagnostic froid et vertical qui ne perçoit finalement rien des réalités vécues. Les « solutions » proposées sont bien loin des aspirations réelles de la diversité et complexité des populations en place. Alors oui, c’est pas trois blocs blancs sur lequel tu peux t’asseoir tout seul, et 4 places de camions en moins au cœur de notre quartier qui va bouleverser nos vies pour le moment, mais déroulons un peu le fil des transformations à venir…

Ces transformations ont un impact direct sur les usages du square St Bruno, sur ce qu’il représente symboliquement et sur la manière dont il est pratiqué par les habitant.es. Le square est un lieu de repos. Les nombreuses personnes qui y viennent le font majoritairement pour se divertir, discuter entre amis, faire la sieste, jouer aux boules ou amener les enfants à la dragonne. On remarque que les personnes qui se déplacent sans intention de s’arrêter ne traversent pas le square mais passent sur le trottoir à l’extérieur des barrières. Cet aménagement crée un îlot de tranquillité dans un quartier très animé, juste à coté d’un marché quotidien ! Les transformations annoncées par la mairie, vont majoritairement à l’encontre des usages actuels. L’ouverture massive à l’est, du coté du marché, encourage les passants à traverser le square.  L’ouverture et l’aplatissement du coté de la rue Abbé Grégoire participe également à transformer cet espace en parvis ou esplanade. Nous passons doucement d’un lieu de repos et de convivialité à un lieu de passage, à un carrefour piéton, comparable aux places de l’hyper-centre comme l’actuelle place Victor Hugo. Sur ces places lisses, ouvertes et bien souvent piétonnisées, le constat est souvent le même, on y passe, on les traverse mais on ne s’y arrête que très peu : on ne se les approprie pas. Le soulagement de pouvoir laisser les enfants jouer sans surveillance, le repos et la vie qui se créent sous nos immeubles, sont des éléments fragiles que l’utilitarisme et l’impatience du mouvement contemporain ont vite fait de mettre en péril. St Bruno est une place que l’on habite, où la rue participe à créer la vie sociale du quartier. Cela fait sans aucun doute partie des raisons pour lesquelles beaucoup de gens s’obstinent à vouloir continuer d’y vivre, bien que l’arrivée massive de cadres et professions supérieures ait augmenté considérablement le prix des loyers au cours de cette dernière décennie.

L’aménagement proposé aujourd’hui est mineur. Mais au risque d’être catalogués comme d’éternel.les mécontent.es, nous allons tout de même expliquer en quoi il est une fausse bonne idée. Après maintes et maintes réunions publiques, déclarations, et petit projets, ce n’est plus un secret que la mairie de Grenoble compte transformer le quartier St.e Bruno.elle. Elle déroule sa planification urbaine par une quantité de petits projets inoffensifs, allant pourtant bel et bien dans le sens d’un objectif à plusieurs années. Nous ne croyons pas en l’absence de vision à long terme des élu.es et technicien.nes, bien qu’ils ne nous en disent rien. Nous tentons d’analyser, de notre regard, ce que nous croyons lire de cette vision à plus long terme. Le plus évident, semble t-il, est de nous préparer à la refonte du marché. En effet, l’axe est – ouest qui va traverser le square donne sur une allée perpendiculaire à ce dernier. Il y a fort à parier que cette transformation de la place introduise le projet type proposé il y a quelques années, qui consistait à créer deux grandes allées nord-sud et est-ouest traversantes, afin d’aller progressivement vers une une réduction du nombre de commerçants et une plus grande part accordée à l’alimentaire. Pourquoi faire, si ce n’est mettre peu à peu des épines dans le pied de ce marché connu pour ses bonnes affaires, ses prix peu élevés, et ainsi transformer la population qui le fréquente. Par ailleurs, ces aménagements mènent vers un espace de plus en plus panoptique, dans une lourde ambiance sécuritaire d’auto-contrôle entre voisin.es et habitant.es du même quartier, ceci sous la camera de surveillance qui veille et surplombe les moindres faits et gestes.

Retirer l’intimité d’une place abritant la vie sociale de ses habitant.es par toujours plus de « sécurité passive » participe à la guerre contre les pauvres. Les urbanistes et géographes savent pertinemment qu’un espace urbain conditionne les pratiques qu’il abrite et les usages qui en sont fait. Ce projet et les suivants permettront sur plusieurs années un dégoulinement du centre ville sur le quartier St Bruno. Le centre ville, aujourd’hui plus pensé pour l’individu.e consommateur.rice que dans une volonté de créer des espaces conviviaux, populaires, permettant plus, de débrouille, de vie et de rencontres dans nos rues.

De l’Estacade à l’estocade

Saint-Bruno est peuplé. Tous ceux qui passent ici le savent. Saint-Bruno est peuplé de toutes celles et ceux habitent ses rues, s’y arrêtent, y discutent, traînent aux terrasses des cafés, se reposent et jouent dans les parcs. Saint-Bruno est peuplé de rires, d’engueulades, de sifflets, des cris du marché, des odeurs de poulets rôtis et de mahjouba. Saint-Bruno est peuplé de langues et de saveurs qui viennent des quatre coins du monde. Saint-Bruno est peuplé d’amitiés, de coups de main, de débrouille. Saint-Bruno est peuplé de différents mondes qui cohabitent, et parfois coopèrent ou s’entrechoquent.

Mais depuis 30 ans que la désindustrialisation du quartier a été achevée, une lame de fond vient bouleverser ces manières de l’habiter, attaque ces liens et les usages communs de la rue. Et pousse les plus démunis à plier bagages. Silencieusement et brutalement. Pourquoi s’encombrer de pauvres quand les usines ont été transformées en centre d’Art Contemporain ou en atelier éphémère de Street Art?

Cette opération de « reconquête », comme disent les urbanistes, a été menée en plusieurs temps. Il y eut d’abord la sordide Europole avec ses
zombies en costard et ses rues désertes qui glacent le sang. Le maire de l’époque, Alain Carignon, maître d’œuvre de cet enfer ne cachait pas sa volonté de remplacer les populations immigrées du quartier par une armada de cadres et d’ingénieurs dynamiques. Puis vint Bouchayer-Viallet et ses usines muséifiées par l’Art, la Culture et le Divertissement, ses kilomètres carrés de bureau laissés vides, ses cabinets d’architectes et de créatifs en tous genres. Sur le papier ça paraît un peu plus coloré qu’ Europole, mais si vous avez le courage d’y mettre les pieds en dehors des heures de migration des fêtards, seul un sentiment peut vous étreindre, le vide. Tout cela fut bien sûr accompagné de tout un ensemble d’opérations immobilières de démolitions et de constructions de résidences « de standing » menées par des promoteurs aux dents longues (BNP Paribas, Eiffage…), principalement dans les deux quartiers précédemment cités, mai aussi au sud de la rue Nicolas Chorier. Constructions qui ont amplement contribué à l’augmentation continue des loyers dans le quartier. Et nous voilà donc bel et bien cernés.

Aujourd’hui, ce processus de dépeuplement et de privatisation du quartier continue. L’objectif poursuivi est de plus en plus clair : que
Saint-Bruno devienne un quartier de l’hypercentre, que la continuité métropolitaine avec la presqu’île scientifique et Bouchayer-Viallet soit
achevée. Que Saint-Bruno deviennent une pièce de la Métropole signifie le vider de sa vie, réduire peu à peu l’usage de ses rues, de ses places, à de froids rapports de consommation. Mais aussi faire disparaître les formes d’occupations et d’appropriations populaires de l’espace qui y subsistent, fluidifier la circulation et le soumettre aux injonctions de l’urbanisme sécuritaire dont le quartier Europole et le square des Fusillés constituent des exemples édifiants.

Actuellement deux projets s’inscrivent dans cette logique. D’une part la construction de 300 logements inaccessibles aux revenus modestes, à la
place des anciennes usines ARaymond, va parachever la colonisation de cet ancien faubourg ouvrier par les classes supérieures. On voit déjà
les prix dans les supérettes s’envoler, les magasins et les cafés branchés se multiplier. 300 logements (plus de 600 personnes) ce n’est
pas seulement des milliers de tonnes de béton en plus dans le quartier, mais également des écoles en sureffectifs, ainsi qu’une saturation de la
circulation automobile et des possibilités de stationnement. Le stationnement payant nous sera imposé comme une nécessité, nous contraignant à payer toujours plus le droit d’habiter ici. D’autre part le cœur du Saint-Bruno populaire, la place et son marché, est également visé. Ce marché emblématique du quartier, sa convivialité, la diversité de ses produits, ses prix accessibles à tous, ainsi que la vitalité de la vie commerçante maghrébine, font de Saint-Bruno un haut lieu de rencontre et de brassage de personnes venues de toutes la ville. Ainsi qu’un lieu d’accueil et d’entraide pour les immigrés qui arrivent à Grenoble. On y trouve des plans boulots, des tuyaux pour se loger, des lieux où nouer des relations. Mais aujourd’hui, nous entendons parler de façon de plus en plus insistante de dynamisation du marché et de piétonnisation de la place. Et nous savons ce qui ce s’ avance derrière ces mots positifs mais trompeurs. Il s’agit de faire un grand ménage, de normaliser le joyeux bordel qu’est le marché de Saint-Bruno. Opérer un tri entre les exposants en arguant de la qualité des produits, faire « monter en gamme » le marché. C’est à dire s’attaquer brutalement à son esprit. L’augmentation des prix étant un dispositif sûr pour mettre en place une sélection sociale implacable. Enfin nous ne pouvons que nous inquiéter de ce qu’une telle normalisation opérerait comme fragilisation de la vie maghrébine du quartier, qui est déjà régulièrement mise sous pression par les descentes de CRS et les discours puants sur le « manque de mixité sociale ». Qu’ils aillent s’occuper de la mixité sociale place Grenette !

Et pourtant, face à ces attaques de la métropole de timides et insuffisantes formes de résistances s’esquissent. Des recours administratifs et judiciaires en vue de bloquer ou d’amender les projets d’aménagement, aux formes d’appropriation hors cadres de la rue par des initiatives comme la cantine populaire, de ses murs par la poésie absurde des tagueurs de Saint-Bru. Nous sentons bien qu’existe dans ce quartier tout un tissu de liens et de lieux qui sont attachés à ses manières d’être peuplé, qu’isolément nous nous inquiétons de sa mise au pas économique dans nos cercles d’amis, de collègues, de camarades. Pour mieux appréhender ce qui nous arrive et tenter de trouver des façons d’y
répondre collectivement, nous aimerions proposer un moment de discussion pour mettre en partage nos perceptions, nos analyses, et s’il y en a, des idées combatives pour résister à la métropolisation et imaginer des outils communs.